Je me lance aujourd’hui dans un article aux apparences morbides, l’envie de parler de bon matin de cadavres, dissection, greffes d’organes. On le sait intuitivement, le rapport à la mort est éminemment culturel. Culture d’un pays, culture religieuse, culture familiale, culture par corps de métiers. Pour cela comme le reste, nous interrogeons et posons un regard différent selon qui on est.

La bioéthique se démène comme elle peut à démêler tous ces fils qui nous relient aux questions de vie et de mort, tentant de répondre au mieux aux avancées scientifiques et aux évolutions sociétales. Si cette discipline n’existait pas dans l’Antiquité, il va de soi que notre regard sur la vie et la mort n’a jamais cessé d’évoluer

Je ne peux m’empêcher de rassembler certaines évolutions… pour le plaisir de cultiver le doute et l’humilité.

La leçon d'anatomie du Dr Tulp - Rembrandt

 

Pierre tombale pour les corps donnés à la science - USA

« Mortui Prosumus vitae »  c.-à-d. « Même mort nous servons la vie »

Nos cadavres sont des mines de renseignements pour la science. Ils parlent de nos vies. Les paléontologues arrivent à tirer des trésors d’informations à partir d’ossements (voire de fossiles !) de nos ancêtres les plus lointains. Notre squelette est la mémoire de notre morphologie, de notre alimentation…et je ne parle pas de l’ADN… Faire parler nos morts est un vrai fantasme. C’est sans surprise devenu un sujet de série policière américaine : Bones.

Mais nos cadavres gardent parfois leurs secrets :

Avant l’invention de l’imagerie médicale qui permet de voir l’intérieur d’un corps vivant, la dissection d’hommes ou d’animaux morts (disponibles à foison – ça, c’était avant) jouait une place centrale dans la construction de la médecine. Et cela n’était pas sans créer quelques quiproquos majeurs !

Par exemple, les étapes de la compréhension de la circulation sanguine sont fascinantes, tant elles mêlent spiritualité, fantaisie, poésie. En effet, par la dissection, les médecins de l’Antiquité (Hippocrate et les suivants) observaient des canaux vides (c.-à-d. les artères qui n’étaient plus injectées de sang par le cœur arrêté) et d’autres plein de sang (les veines). Les spéculations sont ouvertes, qu’auriez-vous conclu ? Hippocrate pense alors que les artères transportent de l’air. Il développe sa théorie des humeurs. De même, sur un corps mort, le foie et la rate restant gorgés de sang, on pense donc qu’ils produisent le sang et le dirigent vers le cœur, à la façon d’un réseau d’irrigation unidirectionnel. La saignée apparaît alors comme une bonne idée. Voici un article plus complet sur toutes les évolutions passées.  N’allez pas croire que ce sujet a été clos après les découvertes révolutionnaires de William Harvey, j’en reparle dans le paragraphe suivant.

Plus proche de nous, il y a encore quarante ans, on enlevait systématiquement les fascias des cadavres, pour avoir accès à « l’essentiel ». Un peu comme on enlève une toile d’araignée sur un vieux grimoire. Aujourd’hui ils sont étudiés minutieusement, très à la mode, on leur accorde une importance grandissante.

Encore plus récemment, avez-vous entendu parler de la découverte de « nouveaux organes » ? Cela a fait le buzz un temps. C’est le cas du mésentère. De fait, la continuité tissulaire créé l’organe. Le mésentère (qui maintient l’intestin dans la cavité abdominale) est devenu un organe car on a réussi à le disséquer en une seule pièce. Sa fonction, elle, reste méconnue. Je n’ai pas compris à quoi servaient ses classifications, sans doute que le mésentère aura droit a plus de subvention de recherche ? A suivre.

Ainsi pour bien disséquer, il faut savoir regarder !

L’art de la dissection

J’ai commencé à m’initier au Body-Mind centering il y a un peu plus de 10 ans avec l’Américaine Vera Orlock qui venait deux fois par an donner des stages à Paris. Une fois, elle nous a confié avoir participé à un atelier de dissection de cadavre humain. Ils étaient une poignée de thérapeutes manuels (« physio-therapist ») à vivre cette expérience. J’étais médusée, la jeune frenchy que j’étais n’imaginait pas que la dissection pouvait se « démocratiser » et s’adresser à d’autres personnes que des chirurgiens ou étudiants en médecine ! Plus fort encore, elle nous expliquait que c’était un cadavre « frais » c’est à dire qui n’avait pas subi de processus de conservation. Le formateur leur a demandé de toucher les pieds et voir s’ils pouvaient deviner de quoi était mort ce monsieur. En effet, certains flux vitaux étaient encore perceptibles et à eux tous ils ont émis des hypothèses de pathologies ou restrictions tissulaires qui se sont toutes confirmés lors de la dissection. On ne saura pas quelle est la vraie cause de la mort, mais toute une histoire semblait se dérouler : un foie engorgé, une cheville fragile, il était probablement gaucher… que sais-je.

Partagez-vous mon enthousiasme ? et ma perplexité ?

Et si le protocole de dissection incluait une approche sensible, empathique ?

Eh bien cela existe aux Etats-Unis, Gil Hedley dissèque, parle éthique et philosophie, poétise et partage son expérience avec des « Somanauts ». J’inclus une vidéo de sa chaine youtube ci-dessous. Il y parle de fascias à destination de nous « humains vivants ».  Il a pris soin d’actualiser cette version (cf les notes sur la vidéo). De fait, il est assez influent dans le monde des pratiques somatiques, car il s’efforce de faire dialoguer le corps vivant et le corps mort. L’un permettant de mieux comprendre l’autre. Il est un précurseur dans la recherche sur les fascias car il a été un des premier à les disséquer. Il a 19 000 abonnés sur facebook, pas mal pour un mec qui montre des cadavres. Ce n’est sans doute pas le seul à essayer de transmettre un art de la dissection mais sa démarche semble encore singulière quoiqu’à mon sens tout à fait cohérente : Il a un PhD en étude des Religions et de l’Ethique, il a été prof de tai-chi et physio-therapist, s’est intéressé aux guérisseurs…. Et aujourd’hui, c’est un autodidacte de la dissection !!!!!!!!!!! Avec tous les signes d’un esprit génial.

Je ne sais pas si un tel personnage pourrait exister, en tous cas être reconnu, en France, nul doute en tous cas que son point de vue singulier et hors-cadre ne peut que faire du bien.

Une autre star de la dissection est le Dr. Fransico Torrent Guasp (1931-2005). Ce cardiologue espagnol aura disséqué des cœurs (d’animaux le plus souvent) seul (c.-à-d. sans fonds de recherche spécifiques) pendant 25 ans jusqu’à montrer sa forme hélicoïdale au monde entier. Notre cœur est donc une seule bande musculaire enroulée sur elle-même. Ses travaux ne furent reconnus officiellement que 10 ans avant sa mort. Un film retrace (à l’américaine) cette épopée et ses impacts sur la médecine (cf BO ci-dessous). Il n’a étonnamment pas de page wikipédia en français. Moralité, si vous voulez devenir une star internationale, choisissez un autre domaine que la dissection. De quoi est mort ce monsieur ? D’un infarctus à la fin d’une conférence, entouré de cardiologues. Moralité…non on ne moralise pas sur la mort…

Voici un lien si cet article vous a donné un furieuse envie de disséquer, il faut aller aux Etats-Unis bien sûr mais je vous ai trouvé un stage traduit en français en août 2019… le temps d’économiser…

 

 

« Certains préfèrent assurer leur immortalité par leur descendance, d’autres par leurs oeuvres. Je préfère assurer la mienne en ne mourant pas. »

Woody Allen

Photo montrant des "cuves cryo" de Cryonics Institute, aux Etats-Unis, dans lesquelles les corps des "candidats" sont stockées. Cyronics Institute

Comment donner son corps à la science ?

Je ne résiste pas à vous donner le lien lacunaire de l’administration française : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F180

Mais je vous en donne un autre plus funky et très instructif : http://www.maxisciences.com/don-de-corps/donner-son-corps-a-la-science-definition-procedure-conditions-comment-faire_art33297.html

Retenez que : donner son corps à la science est différent du don d’organes. L’idée étant plutôt de participer à la progression de la connaissance, soit par la recherche, soit par la transmission de savoir à des étudiants en médecine par exemple.

Seulement 3000 Français donnent leur corps à la science chaque année. C’est réglementé depuis les années 60 chez nous. Cela diffère pour chaque pays. En Inde, un corps qui n’est pas réclamé dans les 48h est confié à la science. Aux Etats-Unis, ainsi qu’en Australie, cas particuliers, vous pouvez aussi rentrer dans un programme de décomposition sous-terraine mis en place par des scientifiques de la police criminelle. (plus d’infos) Miam.

Un livre (euh un best-seller mondial !) répertorie tout ce qu’on peut décider de faire de son cadavre. C’est très drôle et instructif, et c’est bien sûr écrit par une Américaine, foncez : Stiff de Mary Roach ou en version française Macchabées : La vie mystérieuse des cadavres.

A noter, en France, vous n’avez que troix choix : l’enterrement, l’incinération ou le don à la science. Les Etats-Unis sont nettement plus créatifs.

En effet, si certains pays ont décidé de réglementer et centraliser ces donations, d’autres sont plus libérales et même sur ce sujet la concurrence fait rage. A vous de choisir à qui vous faites don de votre cadavre. Autant dire que les liens « donate your body » foisonnent.

Dans son best-seller mondial « Voyage au-delà de mon cerveau » la neuro-anatomiste Dr Jill Bolte Taylor décrit son prosélytisme en faveur du don de cerveau. Elle parcourt les Etats-Unis en tant que porte parole de la Banque des Cerveaux de Harvard. En France, je ne connais pas de figure médiatique portant ce genre de message.

Ces différences contribuent à entretenir une pudeur voir un tabou dans certains pays ou au contraire à normaliser cet acte. La façon dont on parle -ou non- de la mort a de grands impacts culturels à mon sens.

Et sinon l’immortalité ?

Nous vivons dans un monde où la greffe de cœur est possible et où l’idée de cœur artificiel progresse vite. Un monde dans lequel certains (2500 personnes) décident de se faire cryogéniser : « Conserver (un être humain ou un animal) à une température très froide, en espérant le faire revivre ultérieurement ».

C’est interdit en France, mais vous pouvez quand même lire cet article pour en savoir plus.

On vit dans un monde où des gens vendent très cher l’idée d’immortalité. Et certainement que la législation autour de nos cadavres va continuer d’évoluer comme elle l’a déjà fait par le passé.

Et je ne me lancerai pas ici dans le transhumanisme…restons sur les cadavres.

 

Dis, c’est quoi la mort ?

Les plus vieux d’entre nous ont vu la définition de la mort dite « médico-légale » évoluer (cf circulaire Jeanneney du 24 avril 1968 puis code de la santé publique 1953 articles R1232-1&2 )

Il fut un temps – pas si lointain donc – où le cœur était considéré comme l’organe de la vie : l’arrêt cardiaque et respiratoire déclarait le décès. En plus, c’était le siège de l’âme, ça collait bien.

Puis on a réussi à réanimer des cœurs qui avaient cessé de battre, et plus fort encore, on a commencé à imaginer la greffe de cœur. Il a donc fallu changer la définition de la mort clinique, et on parle maintenant de mort cérébrale (considérée comme irréversible aujourd’hui). Pour être précis, il s’agit de « la disparition irréversible de l’activité cérébrale mise en évidence par la perte des réflexes du tronc cérébral » selon l’ Organisation mondiale de la santé animale. Et voilà le cerveau qui détrône le cœur dans ce domaine aussi !

Je cite Wikipédia : « la mort légale précède en ce cas la mort physiologique. On maintient ainsi des personnes en état de mort cérébrale sous respiration artificielle, lorsque le cœur continue à battre spontanément : cela permet de maintenir les organes en bon état en vue d’un prélèvement. Certains pays autorisent le prélèvement d’organes à cœur arrêté. Cette pratique est controversée. »

Et vous serez sans doute surpris d’apprendre qu’être mort n’est plus synonyme d’immobilité non plus ! Peut-être avez-vous entendu parler du réflexe de Lazare ? Stimulé au bon endroit de sa moelle épinière, un mort (au sens médico-légal du terme) va lever les bras subitement et les croiser sur sa poitrine comme une momie égyptienne puis les ramener le long du corps.

Comment résister à vous en donner une définition plus clinique, c’est drôle et terrifiant à la fois.:

Signe de Lazare : Les mouvements débutent entre 4 et 8 minutes après l’arrêt du respirateur. Une piloérection des bras et du tronc peut être observée. Elle est suivie après environ 30 secondes d’une flexion rapide des avant-bras sur les bras. Les mains peuvent ainsi atteindre le sternum, le menton ou le cou, le patient semblant vouloir enlever son tube endotrachéal. Les doigts présentent fréquemment des attitudes dystoniques. Cinq à dix secondes plus tard, les bras rejoignent la position de repos. Des variations peuvent être observées : élévation des bras avec extension des avant-bras, opisthotonos, brève position assise. Les mouvements peuvent être symétriques. On comprend mal la physiopathologie de ces mouvements qui impliquent la persistance fonctionnelle de circuits médullaires complexes.

Source : https://medecinelegale.wordpress.com/2010/10/21/la-mort-cerebrale/

De là, on peut faire confiance à Mary Roach (l’auteur de Stiff cité plus haut) pour se demander si d’autres réflexes pourraient se manifester : un cadavre peut-il avoir une érection ? un orgasme ? Les réponses sont dans son livre sur l’approche scientifique du sexe : Bonkauront de quoi vous surprendre ! De quoi repenser l’idée de vie, de mort…

Je vous conseille la lecture de ce passionnant article sur l’évolution de la mort en France : lieu de la mort (et oui la mort à l’hôpital est assez récente !), temps de la mort, et même quelques éléments sur l’euthanasie… : http://www.espace-ethique-poitoucharentes.org/obj/original_152122-les-nouvelles-definitions-de-la-mort-dr-lesieur.pdf

Bonnes lectures !

« Un problème sans solution est souvent un problème mal posé. »

Albert Einstein