Il est toujours très excitant de voir à quel point il reste des mystères sur le fonctionnement du corps humain. Non, tout n’a pas été ni découvert, ni vu (!) et encore moins compris. Les connaissances officielles avancent au rythme de la recherche scientifique qui analyse les comportements métaboliques avec l’aide de souris, de poissons-tigres, de mouches et autres cobayes. On utilise aussi nos morts, par la dissection certaines choses se révèlent – à condition de savoir regarder. J’en parlerai plus dans un prochain post.

Aujourd’hui j’ai envie de mettre à l’honneur les connaissances qui peuvent émerger de la Somatosphère (les pratiques somatiques au sens large) : les chercheurs par le corps vivant. J’ai entendu pour la première fois le mot « somatonaute » dans la bouche de Janet Amato, professeure de BMC®. Quel charme ! L’idée de devenir cosmonaute de l’espace interne !

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Qu’est-ce que le SOMA ?

La définition la plus courte est celle de « corps subjectif », c’est à dire le corps d’une personne. Chacun va investir-habiter-sentir son corps par sa subjectivité. Cela s’opposerait au « corps objectif » de la science qui cherche au contraire à évacuer les cas individuels pour aboutir à une norme fiable.

C’est en quelque sorte ce que le qualitatif est au quantitatif : Complémentaire.

D’autres parlent de ce que le territoire est à la carte : sensoriellement plus riche et plus complexe et surprenant…

Qu’est-ce qu’un somatonaute ?

Le soma se découvre dans l’expérience sensible avec le grand défi qu’observateur et observé sont la même personne. Les livres d’anatomie et de physiologie sont donc des ressources précieuses pour s’orienter : parfois pour guider une expérience, parfois pour la comprendre après coup et lui donner un nom. En Body-Mind Centering® (BMC®) particulièrement le va-et-vient entre la théorie et l’expérience est constant. C’est bien le pont entre sa subjectivité et l’objectivité qui amène de la connaissance.

L’enjeu pour un somatonaute n’est pas de rester blotti dans l’intimité de ses sensations, mais bien de résussir à les définir, les situer, et les partager. C’est-à-dire les mettre suffisamment à distance pour les reconnaître.

Le somatonaute est donc un chercheur et non un consommateur de sensations.

Comment faire le pont avec la recherche scientifique ?

Plusieurs somatonautes sont des professionnels en lien direct avec le monde académique : doctorant, chercheurs, medecins… Rien de contradictoire.

Moshe Feldenkrais était physicien et judoka. Bonnie Baindbrige Cohen est ergothérapeute et danseuse et a vécu au Japon plusieurs années. Il y a l’idée dans ces deux pratiques d’une proximité avec le monde scientifique et en même temps le ressenti du corps, et une vision orientale du corps. Bonnie Baindbridge Cohen dit qu’elle fait le pont entre deux visions du corps, l’occidentale et l’orientale.

Par ailleurs, les pratiques somatiques peuvent suivre des courants en avant-garde. Par exemple, il y a une grande avance me semble-t-il des somatonautes sur la compréhension des fascias. Pendant longtemps, ce tissu conjonctif (aujourd’hui hyper à la mode et étudié) était ignoré de la communauté scientifique. Or dans le mouvement, dans l’art du toucher, leur présence apparaît assez vite comme évidente et intrigante. Dans un documentaire d’Arte récent sur le sujet, somatonautes et chercheurs sont interviewés en parallèle, les uns cherchant à valider par la méthodologie scientifique les théories des autres.

D’une autre façon, les neurosciences ont fini par rentrer dans le cerveau de grands méditants grâce à l’avancée de l’imagerie cérébrale. Cela a déjà permis de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. Alors qui sait ce que l’avenir nous réserve.

Quoiqu’il en soit le somatonaute et le scientifique ne s’opposent qu’en ce qui les rend complémentaires l’un de l’autre.

moshe
bonnie
bonnie coeur
« I am sharing my experience, not the truth. The truth is in your experience »

Bonnie Baindbridge Cohen, fondatrice du Body-Mind Centering

* »Je partage mon éxpérience, non la vérité. La vérité est dans votre expérience »

« Le mouvement c’est la vie. La vie est un processus. Améliorer la qualité du processus améliore la qualité de la vie elle-même. »
Moshe Feldenkrais

livre bonnie

Que penser des théories venant du champ somatique ?

A vrai dire, il y en a peu ou alors il y en a trop, pourquoi pas une par individu…! Les somatonautes se confrontent aux limites du langage et à un manque de vocabulaire pour décrire le sensible. Je ne dis pas que c’est impossible, d’ailleurs cela existe, mais c’est difficile et on essaie d’éviter cette étape. Difficile de s’exprimer avec suffisamment de précision pour aller vers un consensus décrivant un territoire. Cela deviendrait une carte et ce n’est pas tellement recherché. L’idée est plutôt d’apprendre à voyager.

D’un coté, la recherche et un savoir-faire se transmettent. L’apprentissage a lieu. De l’autre, il y a peu d’écrits. Des citations, telle des haïkus inspirants mais peu de théories officielles.

Les somatonautes se regroupent en « pratiques somatiques » ou méthodes plutôt que derrière des théories desquelles on serait en droit de se méfier.

Les somatonautes utilisent davantage la tradition orale. Ce qui peut difficilement s’écrire peut se dire ! C’est finalement la voix, la qualité de présence, tout ce qu’on appelle langage non-verbal qui va transmettre un message plus important que les mots. Je l’expérimente tous les jours dans mes cours et stages : comment je dis, comment je suis, est plus important que ce que je dis (qui parfois n’est même pas perçu !).

En BMC®, on place la notion d’embodiment au centre de la pédagogie. Parce que j’arrive à m’orienter dans mon corps, je peux aider les autres à s’orienter. Comme une connaissance qui se diffuse de proche en proche.

En Feldenkrais, les professeurs s’appuient sur des leçons écrites par Moshe de son vivant et pourtant vous distinguerez aisément un bon professeur par la qualité de sa voix et de sa présence. La magie ne réside pas dans les mots seuls, il faut savoir les faire porter.

Cela veut dire que le pédagogue joue un rôle important. Il travaille avec plus ou moins de recul sur sa propre subjectivité, avec sans doute plus ou moins d’humilité, plus ou moins d’ouverture, plus ou moins de croyances. Il s’agit donc toujours d’une subjectivité qui révèle d’autres subjectivités. Il faut à la fois pouvoir lui faire confiance pour vivre des expériences et à la fois être prudent concernant ce qui est dit pour ne pas créer des nouveaux dogmes. Ni tomber dans l’enthousiasme éternel, ni dans la critique systématique. Un somatonaute est un funambule entre deux précipices, la tentation obsessionnelle de l’objectivité scientifique d’un côté, le refuge de la subjectivité et de la relativité de l’autre. C’est cela qui à mon sens renforce son ancrage interne – ou le fait tomber.

Il y a une dimension infinie et vertigineuse à cette recherche – mais l’astronomie n’est pas forcément plus simple à circonscrire ! Gardons l’esprit ouvert, acceptons nos limites, et œuvrons pour un corps de plus en plus conscient de lui-même. Les bénéfices sont énormes en terme d’adaptabilité et d’ancrage interne.

Notes :

  • Bonnie Baindbridge Cohen est la fondatrice du Body-Mind Centering® (BMC®). Elle vit aux USA.
  • Moshe Feldenkrais est le fondateur de la méthode Feldenkrais